Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a inauguré, ce lundi 29 octobre, le nouvel aéroport d’Istanbul. Ce mégaprojet suscite de vives polémiques sur les conditions de travail des ouvriers et sur la destruction de la biodiversité.
À tout point de vue, le nouvel aéroport turc, qui doit être finalisé d’ici 2028, a de quoi donner le vertige : une surface de 7 600 hectares sur les rives de la mer Noire, un transit à terme de 200 millions de passagers par an – soit près du double des 103,9 millions passant par l’aéroport américain d’Atlanta, le plus fréquenté au monde, et un coût total de 10,5 milliards d’euros.
Le mégaprojet, qui présente un visage futuriste avec de nombreuses ouvertures vitrées, des lignes courbes et des équipements technologiques dernier cri, est aussi un bijou de conception et d’ingénierie avec notamment sa tour de contrôle en forme de tulipe, déjà gratifiée d’un prix international d’architecture en 2016. Une grande fierté pour le président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui aspire à ce que cette réalisation devienne d’ici 2023 la plus grande plaque tournante du transport aérien au monde, reliant l’Europe, l’Asie et l’Afrique.
Reste que la construction, qui s’est faite à marche forcée, a pris du retard. Seule une première partie du projet doit être mise en service lundi 29 octobre. Derrière cette inauguration en grande pompe en présence du président turc, des dizaines de milliers de travailleurs se démènent pour terminer le chantier d’ici fin décembre et remplacer l’actuel aéroport international d’Atatürk d’Istanbul.
« L’aéroport est devenu un cimetière »
Pour Nihat Demir, le secrétaire général du syndicat de travailleurs de la construction Dev-Yapi-Is, la pression exercée pour achever le projet et les longues heures de travail ont engendré des accidents et des décès sur le site, qui emploie 36 000 personnes. « L’aéroport est devenu un cimetière », a déclaré Nihat Denim à l’agence Associated Press. Il a identifié 37 décès de travailleurs et 100 morts toujours non identifiés.
Selon un rapport publié en février par le journal turc Cumhuriyet, près de 400 ouvriers ont perdu la vie sur le chantier depuis le début des travaux en 2015. Des travailleurs auraient déclaré que les morts étaient en train d’être dissimulées et que leurs familles touchaient une somme d’argent, selon le site d’informations Arab Weekly, basé à Londres.
Le ministère du Travail turc a démenti ces allégations dans un communiqué, reconnaissant toutefois qu’en février, 27 travailleurs sont effectivement morts sur le site en raison de « problèmes de santé et d’accidents de la route ».
En septembre, des grèves de masse ont été déclenchées suite à un accident de bus d’ouvriers, qui a fait 17 blessés. Environ 400 travailleurs en grève ont été arrêtés et 30 personnes ont été emprisonnées dans l’attente de leur procès, selon l’ONG Human Rights Watch, parmi lesquelles le président de Dev-Yapi-Is, Ozgur Karabulut. Le consortium des cinq entreprises turques en charge du projet a déclaré qu’il améliorerait les conditions de travail. Mais la reprise après les grèves n’a entraîné qu’une forte présence policière.
La faune et la flore détruites
Les syndicats ouvriers ont continué à faire état de conditions de travail épouvantables, les comparant à celles d’un « camp de concentration ». Ils ont également décrit des dortoirs surchargés, une nourriture de qualité médiocre, un transport insuffisant sur le site et de longs retards de salaire. « Le chantier de construction du grand aéroport international (IGA) est un camp d’esclaves, a confirmé le syndicaliste Nihat Demir. La Turquie est en passe de devenir la Chine de l’Europe. La Turquie profite de la main-d’œuvre bon marché pour que le gouvernement promeuve le secteur de la construction ».
Par ailleurs, l’aéroport a également été vivement critiqué par des groupes de défense de l’environnement, qui affirment que quelque 2,5 millions d’arbres ont été détruits par le projet, ainsi que des zones humides et des dunes de sable côtières. Le projet urbaniste va « inonder les forêts d’Istanbul de ciment », a dénoncé l’association de défense de l’environnement Northern Forests Defence, dans un communiqué.
Les protecteurs de la cause animale ont également averti que l’aéroport était installé sur une route de migration d’oiseaux vitale, ce qui augmenterait le risque que les oiseaux migrateurs soient aspirés dans les moteurs des avions.
“Ce n’est pas juste un aéroport, c’est un monument de la victoire”, peut-on lire à l’entrée du nouvel édifice. Avec le troisième pont sur le Bosphore et le tunnel autoroutier sous le détroit inaugurés en 2016, Recep Tayyip Erdogan est bien décidé à transformer la Turquie à temps pour le centenaire de la République, en 2023.