À un mois de l’échéance majeure que représentent les élections législatives prévues le 16 février 2020, même s’il est impossible de les tenir à cette date, nous sommes déterminés à faire barrage à la mascarade électorale qu’Alpha Condé prépare. Reporté à plusieurs reprises depuis fin 2018 par un Président sorti affaibli des communales du 4 février 2018, ces législatives ne sont finalement organisées que pour une seule raison : montrer que le RPG-arc-en-ciel est largement majoritaire dans le pays, en lui octroyant, grâce à une fraude institutionnalisée, les 2/3 des sièges du Parlement et légitimer ainsi à l’avance la victoire du Oui à son référendum sur la nouvelle Constitution. En fait, toute cette gymnastique ne vise qu’à donner la possibilité à Alpha Condé de briguer un troisième mandat après son second et dernier mandat.

Sinon, pourquoi, compte tenu de la proximité des deux élections, qui se tiennent la même année, ne pas concentrer tous les efforts dans la préparation judicieuse de la présidentielle et reporter, après ce scrutin majeur, les élections législatives ?

Malheureusement, tel n’est pas l’agenda de Monsieur Alpha Condé, et la mascarade électorale que nous redoutions tant, au titre des législatives, est déjà en route. Au lieu de trois mois prévus par le Code électoral pour la révision des listes, le Président de la CENI imposera une durée de 25 jours. Ce qui est nettement insuffisant pour cette révision extraordinaire par son ampleur. En effet, la révision de 2019 devrait, en plus des opérations classiques, permettre à tous les électeurs déjà dans le Fichier de se faire enrôler de nouveau, conformément à la recommandation forte de la mission d’audit du Fichier électoral réalisé en 2018 par l’OIF, l’UE et les NU.

Il convient aussi de souligner la discrimination flagrante organisée par la CENI et l’administration locale entre les fiefs du Pouvoir et ceux de l’Opposition, aussi bien dans la distribution du matériel et des consommables, que dans l’organisation pratique des opérations. Dans les fiefs du pouvoir, les règles et les procédures édictées ont été régulièrement violées pour faciliter l’enrôlement de tous les électeurs, et hélas, de beaucoup de mineurs. Par contre, dans les fiefs de l’Opposition, de nombreux citoyens jouissant pleinement de leur droit de vote en Guinée et à l’étranger, continuent d’être arbitrairement exclus du Fichier, donc des élections.

Cette pratique discriminatoire ne date pas de 2019. Elle est en cours depuis l’arrivée de Alpha Condé au pouvoir. Elle est à l’origine des nombreuses anomalies statistiques qu’on constate aujourd’hui au niveau du Fichier guinéen.

Après la récente révision, le Fichier électoral compte, selon le Président de la CENI, 8.330.188 électeurs sur une population totale estimée à 12.218.357. Notre corps électoral représenterait donc aujourd’hui 68% de la population alors que ce ratio n’atteint nulle part 42% dans toute la sous-région.

Il est en effet de :

41, 23% au Sénégal,

31% en Côte d’Ivoire,

41,58% au Togo,

40,88% au Bénin,

38,33% au Burkina Faso,

39,50% au Mali,

38,58% au Niger.

Même en 2010, avant les tripatouillages successifs du Fichier opérés par le Pouvoir d’Alpha Condé, le corps électoral guinéen ne représentait que 39% de la population totale, niveau conforme à la norme observée dans la sous-région.

Autre anomalie statistique : en 2010, la Région de Kankan, principal fief du parti au Pouvoir, ne comptait que 594.820 électeurs. En 2019, elle est créditée dans le nouveau Fichier de 1.615.840 électeurs, soit une augmentation de 172% alors que le corps électoral cumulé des 7 autres régions, y compris la capitale, n’a cru pendant cette même période que de 82%.

Cette explosion du corps électoral dans les fiefs du Parti présidentiel ne s’explique que par l’enrôlement massif et irrégulier de mineurs à l’occasion de chaque révision depuis 2010. Celle de 2019 n’a, bien entendu, pas échappé à cette règle.

Par ailleurs, plusieurs citoyens présumés être de l’Opposition ou résidant dans des circonscriptions réputées être hostiles au Pouvoir n’ont pas pu se faire enrôler en raison des nombreuses obstructions volontairement crées pour les exclure du Fichier. A l’étranger, ce fut le cas de l’Angola, du Togo, du Nigéria, du Bénin et du Sénégal. Le Président de la CENI et l’Ambassadeur de Guinée à Dakar ont tout simplement décidé d’annuler la révision dans ce pays limitrophe qui compte plus d’un million de guinéens. Les électeurs du Sénégal votent habituellement à 90% pour l’Opposition. Ceci expliquerait-il cela ?

A Conakry, le RPG ayant perdu les élections locales en 2018, on a assisté curieusement à une chute du corps électoral dans la plupart des communes de la capitale, notamment à Dixinn, à Matam, et surtout à Kaloum où on a retrouvé en 2019 que la moitié du corps électoral de 2015.

En outre, il importe de rappeler que l’audit mené en 2018 par l’OIF, l’UE et les NU avait révélé l’existence de graves anomalies dans le Fichier de 2015. Ces anomalies devraient être corrigées à l’occasion de cette révision. Le Fichier comportait 3.051.773 millions d’électeurs non dé-doublonnés et 1 564 388 autres sans empreintes digitales, entre autres. Pour doter la Guinée d’un fichier biométrique homogène et au « vu des doublons persistants du nombre de citoyens sans données biométriques et de décédés qui pourraient encore figurer dans la base de données », la mission avait fortement recommandé qu’à l’occasion de cette révision, tous les électeurs reviennent se faire enrôler correctement. Ceux qui ne le feraient pas seraient considérés comme des fictifs ou des doublons et seraient donc radiés du Fichier.

Le Parti au pouvoir n’avait pas accepté de gaieté de cœur cette recommandation, et c’est donc sans surprise que le Président de la CENI a finalement refusé de l’appliquer, malgré l’insistance de l’OIF et les engagements qu’il avait pris à cet égard. En effet, sur les 8.330.188 électeurs du Fichier de 2019, plus de 3 millions ne se sont pas présentés pour se faire ré-enregistrer comme l’avait exigé le rapport d’audit. Ils ne devraient donc plus être dans le corps électoral. Mais le président de la CENI les a maintenus dans le Fichier et ils font partie des électeurs qui seront appelés à voter lors des prochaines élections.

Le Président de la CENI, Maître Salif Kébé, a violé à plusieurs reprises son serment et le Code électoral, et a révélé son manque d’indépendance, d’impartialité et d’honnêteté. En effet, il a défendu en toute connaissance de cause un chronogramme illégal et irréaliste, et qui de surcroit, violait plusieurs dispositions du Code électoral. Il a violé l’article 144 du Code électoral, en fixant, en dehors du délai légal, la date limite de dépôt des candidatures pour les législatives, si bien que, au regard de la loi, tous les candidats à cette élection sont forclos. Compte tenu de ce qui précède, Monsieur Kébé a perdu la confiance et la légitimité nécessaires pour diriger l’Organe de gestion des élections et pour en être membre.

Par ailleurs, on ne peut pas ne pas se poser la question de savoir pourquoi le Gouvernement refuse d’achever les élections locales par l’installation des Conseils de quartier et des Conseils régionaux, conformément à la loi et en dépit de l’Arrêt de la Cour suprême lui enjoignant de le faire.

Le refus de l’Opposition de participer à la mascarade électorale en gestation relève d’une démarche d’anticipation et de prévention de violences politiques et de conflits post-électoraux qui résulteront d’une élection truquée. Pour nous, c’est à la source que le problème doit être traité, en concentrant tous nos efforts d’abord sur l’assainissement du Fichier électoral de manière à ce qu’il soit le reflet fidèle du corps électoral guinéen. Car le Fichier est la pièce maîtresse de toute élection juste et équitable. Ensuite, il faut procéder à l’achèvement des élections locales, rien ne justifiant qu’on suspende une élection et qu’on passe à une autre. Enfin, il faut que l’organe de gestion des élections soit dirigé par un homme compétent, neutre, et impartial pour que l’indépendance de l’institution soit préservée.

Il est de notre responsabilité, en tant qu’Opposition politique et citoyens guinéens soucieux de la préservation de la paix et de la stabilité, mais aussi de la construction d’une démocratie apaisée, d’exiger que le processus électoral en cours soit juste, consensuel et en conformité avec les principes et règles de l’État de droit.

Cellou Dalein Diallo, Président de l’UFDG et Chef de file de l’Opposition en Guinée

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