Accueil Monde Afrique Burkina : Roch ne refuse pas la main tendue de Blaise, mais…

Burkina : Roch ne refuse pas la main tendue de Blaise, mais…

Dans une interview accordée aux médias français RFI et France 24, Roch Marc Christian Kaboré, président du Faso, et candidat à sa propre succession pour l’élection présidentielle à venir, est revenu sur plusieurs questions dont celle de la réconciliation, et surtout, le retour des « exilés politiques ». Dans son intervention que nous vous proposons dans les lignes qui suivent, Roch Marc Christian Kaboré ne refuse pas la main tendue par Blaise Compaoré (…), mais reste tout de même « surpris » que cette main soit tendue, plusieurs années après que le pays a connu certaines difficultés…

Depuis votre élection il y a 5 ans, la situation sécuritaire s’est beaucoup dégradée au Burkina Faso. On déplore plus de 1100 morts et plus d’un million de déplacés. Un tel bilan oblige à se demander si vous n’avez pas sous-estimé, il y a cinq ans, la menace djihadiste ? Est-ce que vous reconnaissez des erreurs ?

Je dois dire simplement que c’est une situation inédite pour nous. Elle est nouvelle, donc il était tout à fait normal que dans un premier temps, après la période de stupeur, nous nous concentrons pour nous organiser de manière à apporter une riposte conséquente à ce phénomène-là.

En septembre 2019, lors d’un sommet de la CEDEAO ici à Ouagadougou, une centaine de soldats français se sont déployés, à votre demande pour sécuriser la ville de Djibo, dans le nord. Il y a eu plusieurs autres interventions militaires françaises sur le sol burkinabè. Est-ce que ça ne justifie pas ce que le chef d’Etat-major général des armées françaises, le général Lecointre avait déclaré il y a quelques mois : « si on s’en va, les pays du sahel s’effondreront sur eux-mêmes » ?

Non. Je voudrais dire que les opérations que nous organisons avec la France sont des opérations de caractère ponctuel, parce que, de façon fondamentale, l’armée burkinabè, depuis le constat qui a été fait aux premières heures des attentats, tout en travaillant dans le cadre du G5 avec Barkhane, nous avons fait en sorte de pouvoir, aussi bien en terme de formation qu’en terme matériel, doter notre armée pour assurer ses missions de sécurisation de notre pays.

Sans les forces françaises, les terroristes seraient à Ouaga…

Peut-être pas. Pour l’instant, je peux vous dire qu’à l’intérieur du Burkina Faso, ce sont les FDS et les volontaires pour la défense de la patrie (VDP) qui travaillent sur le territoire burkinabè.

Et qui gagnent ?

Ils gagnent ! Ça avance. C’est un combat qui se mène au quotidien, il y a des POUR et des CONTRE. Mais je pense que globalement nous pouvons dire que la situation est bonne. Elle est difficile mais nous avons bon espoir de pouvoir réussir dans ce combat.

Il est vrai qu’avec les attaques meurtrières, les djihadistes ont réussi à monter les uns contre les autres. De l’autre côté vous avez fait voter une loi qui permet le recrutement des VDP, ce qui ressemble à des milices d’auto-défense. Est-ce que ça n’aboutit pas à armer des civils anti-peul ? Est-ce que vous n’êtes peut-être pas tombé dans le piège ethnique… ?

C’est une loi qui a été adoptée pour la participation des populations dans la défense de la patrie. Je pense que c’est une loi, ce n’est pas une milice du tout. C’est règlementé, encadré par les FDS, l’idée étant qu’il fallait faire en sorte que nous puissions couvrir, dans cette lutte, les plus de 8000 villages que nous avons au Burkina Faso. L’idée est de rapprocher une forme de sécurité villageoise connue, qui permet d’anticiper sur les attaques des terroristes dans les villages et permettre à l’armée, le cas échéant, de pouvoir approcher les situations et défendre les populations à des situations utiles. Parce que, comme je vous l’ai dit, les terroristes circulent, ils arrivent dans un village où ils vont tuer des gens, ils vont dans un marché où ils tirent sur les populations… Aucune garantie, aucune sécurité. De façon technique et matérielle, l’armée ne peut pas se déployer sur 8000 villages en même temps. C’est pour dire que nous ne sommes pas tombés dans un piège (ethnique), parce que ça correspond a un recrutement sur l’ensemble du territoire et c’est l’ensemble des communautés qui participent à ce travail.

Lors du dernier sommet du G5 sahel en juin dernier quand Emmanuel Macron a dit que les Peuls ne sont l’ennemi de personne, est-ce qu’il ne pensait pas très fort au Burkina Faso ?

Pas du tout. Je voudrais vous dire que les peuls ne sont pas l’ennemi des Burkinabè. Vous pouvez aller dans tout ce pays, partout où vous avez des villages d’autres communautés, il y a toujours un chef de la communauté peule dans ce village. Nous avons une situation qui est née dans une zone, qui est celle du Sahel où on peut dire que la majorité des populations qui y vivent sont des peuls, mais on n’a aucunement une question de stigmatisation des peuls au niveau du Burkina Faso.

Des abus de certaines milices ont été dénoncés. L’ONG Human Rigth Watch a affirmé avoir découvert au moins 180 corps enterrés dans le nord, à Djibo, et affirme que c’est l’armée qui est à l’origine de ces tueries. Cela a créé l’émoi dans la communauté internationale. Cela a même poussé des officiels de l’administration Trump (Donald) à menacer de suspendre la coopération sécuritaire si jamais une enquête indépendante n’était pas ouverte. Votre réaction à ces exactions ? Est-ce qu’une véritable enquête est menée pour satisfaire la communauté internationale ?

Lorsqu’il y a des conflits dans les pays, il y a toujours un certain lobby qui diffuse un certain nombre d’informations. Nous les attendons pour qu’ils viennent nous montrer ces 180 corps…

Les organisations de défense des de l’homme… ?

Justement, qui travaillent sur la base d’information d’éléments qui contribuent à vouloir salir l’image du Burkina Faso. Vous étiez surpris, nous avons aussi été surpris que vous.

C’est un mensonge ou pas ?

Nous les attendons toujours pour qu’ils viennent nous montrer les 180 corps.

Est-ce que vous enquêtez sur cette affaire ?

Nous avons fait des enquêtes et nous avons dit que nous ne sommes pas concernés. Nous avons répondu au gouvernement américain. Nous avons dit que jamais nos forces armées, qu’il y ait de temps en temps des insuffisances (je ne peux pas dire à 100% que tout est parfait), jamais l’armée burkinabè n’osera tuer 180 personnes en une fois pour les enterrer dans des fosses communes. Je considère que les questions des droits humains ont été toujours des questions sur lesquelles j’ai été très ferme avec nos militaires, pour dire qu’il faut que nous travaillions à gagner la confiance des populations.

Vous savez très bien que dans ces zones aujourd’hui, il y a des combats entre les milices qui s’y mènent. Il y a des cinquantaines de morts, mais nous n’y intervenons pas, parce que c’est entre eux que les règlements de compte se font.

Le 22 novembre, vous serez candidat à un deuxième mandat de cinq ans. Mais à l’heure du bilan, Zéphirin Diabré (chef de file de l’opposition burkinabè) affirme que vos cinq ans au pouvoir ont été caractérisé par la mauvaise gestion, la gabegie ; Eddie Komboïgo (président du CDP, ancien parti au pouvoir) dénonce le marasme économique, la corruption ; Kadré Désiré Ouédraogo (président de AGIR Ensemble) pointe vos résultats calamiteux, sur le plan du vivre-ensemble. Est-ce que vos potentiels adversaires ne disent pas certaines choses pertinentes ?

Je n’ai jamais vu dans un pays, une opposition qui dit du bien du président qui sort. Je pense que c’est une valeur qui est universelle. Comme je dis toujours aux uns et aux autres, il est facile d’être assis devant sa télé et de faire des déclarations. Ce n’est pas cela la question. Le bilan que nous proposons et que nous avons soumis au peuple burkinabè aujourd’hui est un bilan positif. Depuis 2015 à nos jours, nous avons avancé sur un certain nombre de domaines qui sont importants. Sur le plan de la démocratie, vous savez très bien que, sur la base du pacte national du renouveau de la justice, nous sommes engagés dans un travail qui permet aujourd’hui d’avoir une justice indépendante. Deuxièmement, sur le plan des libertés, comme vous pouvez le constater, au Burkina Faso, nous pouvons dire que l’ancrage démocratique est une réalité. Sur le plan des infrastructures, toutes confondues, les réalisations qui ont été faites aujourd’hui, je défie, sur le plan des statistiques, de regarder en quatre ou cinq ans ce que nous avons pu faire, par rapport à ce qui a pu se faire sur les années précédentes, avant nous.

Vous espérez passer dès le premier tour comme en 2015, mais si vous êtes mis en ballotage, est-ce que vous accepterez le verdict des urnes ?

Je suis un démocrate et vous pouvez être sûrs que quelle que soit la situation, en ce qui me concerne en tant que candidat, j’accepterai le verdict des urnes. Je ne dis pas que je passerai au premier tour. Tout dépend du peuple burkinabè. C’est le peuple qui vote, et je respecte tous les autres candidats. Le résultat sera connu au soir du 22 novembre. Donc, soyons patients… Je souhaite que tous les autres candidats aient la même attitude que moi. Que nous acceptons tous, le verdict des urnes.

Aujourd’hui 15 octobre 2020, date commémorative du 33e anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara et ses compagnons. Il y a eu une instruction qui a été menée par un juge sur le dossier Sankara. Elle est bouclée. Il y a une dizaine de suspects qui ont été identifiés dont l’ancien président Blaise Compaoré. Y aura-t-il un procès bientôt ? Est-ce que vous pensez que Blaise Compaoré est impliqué dans la mort de Thomas Sankara ?

C’est un dossier qui est aux mains de la justice. L’objectif est qu’il y ait un jugement. On ne peut pas faire des investigations et mettre le dossier sous le boisseau. Donc, forcément, il y aura jugement.

Bientôt ?

C’est la justice qui décidera du rythme qu’il mettra. Je ne voudrais pas m’avancer pour accuser des gens d’avoir participé ou pas. Laissons la justice faire son travail et la vérité sera mise à jour pour tout le monde.

Il y a 18 mois, Blaise Compaoré vous a envoyé une lettre, une sorte d’offre de service. Vous ne lui avez pas répondu. Pourquoi ?

Je n’ai pas répondu à ses offres parce que je considère que l’offre était de dire : « Je veux rentrer, j’aime mon pays… ». Je trouve un peu surprenant qu’un chef d’Etat qui a quitté son pays qui est en difficulté, ne constate qu’après plusieurs années, que son pays est en difficulté. De façon globale, malgré les problèmes qui peuvent se poser, la solidarité d’un ancien responsable du pays vis-à-vis de son pays doit être une attitude qui, de mon point de vue, doit être constante. Non pas que je refuse la main tendue, là n’est pas la question. Je dis seulement que nous sommes dans un processus de réconciliation nationale qui a pris son temps. Comme je le dis, la réconciliation n’est pas une course de vitesse. Il faut la faire de manière à ce que les Burkinabè apaisent les cœurs pour que nous puissions ensemble aboutir à quelque chose qui nous permet d’avancer.

En ce qui me concerne, je dis simplement que nous aurons, après les élections, à finaliser ce processus (de réconciliation) et je crois que tout le monde pourra rentrer tranquillement au Burkina Faso et ceux qui ont des dossiers en justice, se présenteront pour défendre leur dossier à ce niveau.

Dans ma vision, si je suis élu (à l’élection présidentielle de 2020), je considère que le premier semestre de 2021 doit nous permettre de résoudre toutes ces questions. Mais je ne peux pas dire si je peux l’autoriser à rentrer parce que, c’est ensemble, avec l’ensemble des Burkinabè, que nous pourrons en discuter.

Est-ce à dire que d’ici le 30 juin 2021, l’ancien président Blaise Compaoré sera ici ?

Comme je l’ai toujours dit, on n’a interdit à personne de rentrer. Nous avons dit simplement que tous ceux qui rentrent et qui ont des problèmes à régler avec la justice, doivent se présenter au niveau de la justice. Pour nous, on considère simplement qu’une fois que nous aurions terminé avec les élections, nous allons réunir l’ensemble des composantes de notre société pour discuter de cette question de la réconciliation nationale et voir ensemble qu’est-ce qu’il faut faire. En fonction de cela, la décision sera prise…

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